AM2R
ANOTHER METROID 2 REMAKE
Une fois n’est pas coutume, nous allons nous pencher ici sur un jeu non officiel ! Publié pour le 30ème anniversaire de la saga Metroid le 6 août 2016, le projet AM2R (pour « Another Metroid 2 Remake ») est le fruit d’un travail de longue haleine mené pendant presque 10 ans par un fan argentin. Milton Guasti, alias « Doctor M64 » sur Internet, s’est mis en tête au milieu des années 2000 de réaliser un remake actualisé du deuxième opus de la saga. Et le plus beau, c’est que, contrairement à une grande partie des projets de fans, il a réussi à le mener jusqu’au bout !
Rédigé par Bidoman
De l’importance de Metroid II
Soyons clair dès le début : j’adore Metroid II : Return of Samus. Beaucoup de gens considèrent cet épisode comme le vilain petit canard de la série. Celui qui est en noir et blanc. Celui où Samus est trop grosse à l’écran et où on ne voit rien. Celui où la progression est beaucoup plus linéaire. Celui où on se contente de massacrer les Métroïdes avant d’arriver au bout. Où il n’y a presque pas de portes. Où il n’y a pas de compte-à-rebours. Où il n’y a pas de Pirates de l’Espace, de Ridley, de Mother Brain !
Hé bien, je fais fi de tout cela, et j’aime Metroid II pour ses apports majeurs à la série. C’est avec ce deuxième épisode que la saga prend son envol, qu’elle construit sa mythologie. Déjà, l’histoire fait directement suite aux évènements du premier, ce qui fait d’emblée de Metroid une série qui se tient chronologiquement (à l’inverse de Mario ou Sonic). Ensuite, le jeu introduit des éléments indispensables de l’univers de Samus : son vaisseau bien sûr, qui lui permet de voyager dans la galaxie, mais aussi une nouvelle planète, déjà évoquée dans le premier épisode mais pas encore accessible. Et il donne une profondeur incroyable à la biologie du Métroïde, décrit ici sous tous les angles, à travers toutes ses étapes d’évolution, créant ainsi un univers foisonnant et cohérent. Sans oublier les apports en termes de gameplay : saut spatial, boule de saut, boule araignée, rayon large, rayon de plasma, bornes de sauvegarde et de recharges… Vous avez compris, oui ou non ? Tout ça, c’est Metroid II qui l’a apporté !
Mais ne soyons pas aveugles : il reste difficile d’y jouer à notre époque. La mécanique a quelque peu vieilli et, même s’il reste possible de le parcourir, peu de jeunes joueurs auront envie de s’infliger une aventure pareille dans un monde aussi grand, sans carte et en noir et blanc. Comme Metroid premier du nom, le second est sans doute celui qui mérite le plus une remise au goût du jour pour en bonifier la substance.
Pour le premier Metroid, c’est fait : Nintendo s’en est chargé avec Metroid : Zero Mission, d’une grande qualité, ne se contentant pas seulement de reprendre brique par brique les éléments du premier, mais apportant de nouvelles idées, de nouvelles zones, de nouveaux ennemis et un prolongement bienvenu à l’histoire, sans pour autant détruire la chronologie et la cohérence. Il fallait en faire autant pour Metroid II, mais malheureusement, l’équipe de Yoshio Sakamoto, garant de la série, ne semblait pas encline à s’y coller.
SR388 comme vous ne l’avez jamais vue
Alors, il a fallu compter sur la persévérance des fans, et notamment de Milton Guasti, qui, après 10 ans d’un travail acharné, aidé par plusieurs autres fans dans le monde, parfois à deux doigts de tout abandonner, a réussi à transcender le matériau d’origine pour livrer une relecture magistrale du second épisode.
Car oui, le projet derrière AM2R était similaire à celui de Metroid : Zero Mission : prendre le matériau de base, le remanier, le malaxer, le digérer pour se le réapproprier et le ressortir sous une forme enrichie. AM2R reprend d’ailleurs en grande partie les sprites et éléments visuels de Metroid : Zero Mission, ainsi que sa grande fluidité et vivacité. Samus court, saute, virevolte comme un cabri, ce qui donne finalement un gameplay très nerveux et agréable, taillé autant pour le novice que pour le speedrunner. Le jeu ne se contente pas de reprendre uniquement les objets initiaux de l’épisode Game Boy, mais réintroduit également toutes les améliorations classiques de l’arsenal, avec la présence notable des Super Missiles, de la Bombe de Puissance, de l’Accélérateur (et donc du Mode Météore), tous issus de Super Metroid. Seuls le Grappin et les Rayons X ont été laissés de côté, comme c’était le cas dans Metroid Fusion et Zero Mission. En outre, on obtient un melting-pot magnifique de toute la saveur Metroid, pour explorer des environnements quasiment inconnus.
Inconnus car, contrairement à Zebes que l’on peut explorer dans Metroid, Super Metroid et Zero Mission, la planète SR388, élément clé de l’univers, n’a pourtant jamais été réutilisé ailleurs que dans Metroid II. Malgré les nombreuses références à son environnement dans Metroid Fusion, qui place d’ailleurs son point de départ et sa conclusion sur la planète, elle n’a jamais été de nouveau accessible. C’est donc une véritable joie que de pouvoir arpenter ses grottes profondes et étroites, ses vastes salles peuplées de créatures souterraines, et de s’enfoncer à nouveau dans le cœur de la planète, dans des passages qui se révèlent presque être de la spéléologie. Grâce aux sprites de Zero Mission, et une flopée d’autres créés pour l’occasion, SR388 est criante de réalisme, plus efficace que jamais, vivante et hostile.
L’équipe ne s’est pas contentée d’insuffler la vie dans ces nouveaux décors, elle est allée bien plus loin en conférant une véritable identité à des environnements autrefois relativement génériques. On sait que le jeu s’articule grossièrement autour d’un long puits central s’enfonçant dans la planète, avec l’ouverture, de part et d’autre, de vastes salles à explorer et à nettoyer de leurs Métroïdes pour progresser. Gardant cette architecture, Doctor M64 et son équipe ont eu la riche idée de personnaliser davantage chacun de ces zones latérales pour les rendre vivantes et crédibles : un ancien temple Chozo, une station de pompage, une tour fournissant de l’énergie, etc. Ce qui était suggéré de loin dans l’original prend ici complètement forme. Chaque environnement devient de fait parfaitement reconnaissable, avec sa propre ambiance, ses propres ennemis, et apporte une magnifique cohérence à l’ensemble.
Le même, mais encore plus mieux
Les ennemis, justement, sont méticuleusement repris dans leur forme originelle, des créatures volantes aux robots, en passant bien sûr par les Métroïdes, mais en leur conférant parfois de nouveaux comportements ou de nouvelles tactiques. L’affrontement contre les Métroïdes est en outre plus complexe qu’avant, les Alpha et Gamma étant capables de mouvements d’esquive assez rapides, ainsi que d’une charge violente vers Samus pouvant la mettre au sol. Les Métroïdes Zeta restent à terre mais foncent en courant sur le joueur, crachant des jets d’acide et lacérant l’adversaire à coup de griffe. Quant au Métroïde Oméga, lourd mais impressionnant, il se repose non seulement sur sa capacité à cracher des flammes ainsi qu’à déstabiliser l’adversaire en sautant au sol. Redoutable.
L’affrontement contre les Métroïdes est donc un poil plus tactique qu’auparavant, avec la nécessité de les frapper dans des angles bien précis (généralement au niveau de leur organe vert translucide), tout en esquivant leurs coups violents. Il faudra en faire de même avec la Reine Métroïde, dont l’affrontement a été totalement remanié et rendu plus dynamique par le déplacement de celle-ci !
Et on touche là les véritables ajouts du titre. Car non seulement le jeu reprend religieusement tout le matériau original pour le sublimer, mais il apporte en plus sa touche personnelle extrêmement plaisante et moderne. Tout d’abord, le jeu s’ouvre sur une cinématique rappelant les évènements du premier opus, à la façon de Super Metroid. De même, on retrouve dans le menu du jeu une carte particulièrement détaillé, un inventaire modulable comme sur Super Nintendo, ainsi qu’une base de données très descriptive façon Metroid Prime.
Ensuite, si la plupart des objets se retrouvent à leur place initiale, plusieurs autres ont été déplacés, ou rangés derrière de petites énigmes très sympathiques (je pense notamment aux mécanismes Chozo, ou au contrôle des robots de sécurité). En outre, plusieurs zones nouvelles ont été ajoutées. On pense ici à la zone entièrement inondée menant à la découverte du Costume de Gravité (absent du jeu officiel) et du Rayon de Glace, normalement obtenu bien plus tôt dans l’aventure originelle. On notera également la création de nouveaux mini-boss, comme différents gardiens robotiques Chozo, qui apportent une grande fraîcheur à l’univers. Et que dire de l'imperceptible écoulement du temps, matérialisé par un changement de couleur du ciel ? Alors que Samus arrive en plein jour sur SR388, elle pourra revenir à la surface lors du crépuscule, et achèvera son aventure en pleine nuit. Un souci du détail qui en dit long.
Un magnifique hommage
Mais là où l’équipe est allée très loin, c’est également sur l’inclusion de la Fédération Galactique dans le titre, de manière discrète mais cohérente. On croisera en effet une équipe de secours venu sauver l’équipe de recherche initialement envoyée sur la planète, et décimée par les Métroïdes. L’exploration de Samus la conduira même à remonter à la surface de la planète, découvrant ainsi un vaisseau de la Fédération Galactique abritant une créature inédite, et accompagné d’un chasseur similaire à ceux aperçus dans Metroid Prime 2. Les références se télescopent et Doctor M64 prouve non seulement sa grande connaissance de l’épisode originel, mais aussi de la série dans son intégralité, en n’hésitant pas à placer des références et des clins d’œil. Saurez-vous trouver, par exemple, la salle où Samus se fait contaminer par le virus X dans Metroid Fusion ?
En parlant de Fusion, il est logique de retrouver de nombreux liens, puisque – rappelez-vous – la station BSL présente en orbite de SR388 est censée recréer les environnements de la planète. On ne s’étonnera donc pas de retrouver ce bon vieil Arachnus, déjà présent dans le jeu Game Boy, mais aussi et surtout Serris, le monstre aquatique supersonique. Seul regret sur le plan des hommages : il manque justement les virus X ! C’était l’occasion de faire un petit clin d’œil, en intégrant par exemple une scène où un Métroïde chasse un virus X, puisque tel est censé être leur rôle dans la chaîne alimentaire. Dommage, mais ne soyons pas trop durs : le travail accompli est déjà admirable.
Il l’est également sur le volet sonore, et ce n’était pas une mince affaire, car la bande-son de Metroid II a toujours été considéré comme… particulièrement atypique, dirons-nous. Ici, Doctor M64 a préféré se livrer à des reprises et des remix de tout un tas de musique de la série, en n’hésitant pas à bouleverser l’aspect général. Ainsi, le thème enjoué de Brinstar dans Super Metroid prend ici des airs chaloupés et aquatiques pour accompagner les pérégrinations dans la Station Hydraulique. De même, l’emblématique thème des profondeurs de Norfair, ayant été repris aussi dans Metroid Prime dans les Cavernes du Magmoor, est ici remixé de deux façons différentes : une fois façon électro-pop avec un haut tempo pour habiller la Tour générant l’énergie de la planète, et une seconde fois de manière très lente, mystérieuse, avec des chœurs, pour accompagner le Cœur d’énergie. Sans oublier les thèmes de Metroid Prime 2, comme ceux du Grand Temple, ou de l’affrontement avec le Chykka, sublimés ici aussi.
Bref, ce jeu est beau, ce jeu est agréable, ce jeu est jouable à la perfection, intelligent, bien pensé, oscillant parfaitement entre hommage respectueux et nouvelle création prenant des libertés. Il est rare, personnellement, que je m’attarde sur les fangames. Malgré tout le respect que je dois aux créateurs bénévoles, passionnés et acharnés, le résultat final est souvent approximatif, incomplet, peu inspiré, parfois difficile à jouer, parfois très réussi malgré tout. Mais il reste toujours un je-ne-sais-quoi faisant qu’il manque la patte « officielle », la touche Nintendo. Or, j’ai rejoué 2 fois de suite à ce jeu. Et j’ai envie de le relancer encore. AM2R est clairement au-dessus du lot, il porte la marque des plus grands. Il a tout d’un jeu officiel, tant dans sa réalisation technique qu’artistique. Mais il n’est pas officiel, et donc, il n’a pas plu à tout le monde…
Le blâme de Nintendo
En effet, lors de sa publication en août, il n’a fallu que quelques jours aux avocats de Nintendo pour faire interdire le jeu sur Internet, étant donné qu’il piquait plus ou moins les ressources créées initialement par Nintendo. Les droits d’auteur étant ce qu’ils sont, AM2R a été contraint de s’effacer aussi vite qu’il était apparu. Beaucoup ont blâmé Nintendo pour cette réaction, alors même que pour les 30 ans de leur propre série, ils n’avaient rien trouvé de mieux à offrir que de vulgaires chapeaux dans l’application Miitomo…
Malheureusement, la décision est compréhensible. Elle émane en outre sans doute davantage des avocats et du marketing de Nintendo que des créatifs eux-mêmes : je ne pense pas que Sakamoto s’offusque de voir le résultat final, bien au contraire, car il prouve non pas la volonté de se faire de l’argent sur le dos de Samus, mais bien de prouver l’incroyable richesse de la série et l’amour inconditionné que lui portent les fans. Mais la loi est la loi, et les avocats ont tranché : AM2R doit disparaître.
Effet Streisand oblige, quand on veut faire disparaître quelque chose sur Internet, paradoxalement, on assure sa survie ! Il suffit de taper « AM2R » dans un moteur de recherche pour tomber ici ou là sur des versions du jeu encore accessibles, et nul doute que beaucoup gardent sur leur ordinateur de précieuses copies du fichier qui ressortiront en cas de problème… Du côté de Doctor M64, on s’attendait bien sûr à cette réaction, même si un léger espoir permettait de croire que personne n’allait se soucier d’un obscur jeu développé par un fan argentin… C’est tout le contraire : rarement un fangame avait profité d’une telle couverture médiatique, même dans les sites généralistes du jeu vidéo. Un très bon point, finalement : malgré l’opposition de Nintendo, Doctor M64 est assuré que son jeu est un grand jeu.
En bref...
Que dire de plus ? AM2R mérite qu’on s’y attarde. Au diable les restrictions de Nintendo : trouvez un moyen de jouer à ce jeu et testez-le. Que ces presque dix années de développement bénévoles, sur du temps libre, sans rémunération, seulement mues par la volonté de rendre hommage à l’une des meilleures sagas du jeu vidéo ne soient pas inutiles. AM2R est le remake que méritait Metroid II, et qu’importe qu’il ait été fait par des fans : ses qualités sont immenses et il a tout d’un jeu officiel.
Bidoman
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