Edito du mardi 4 octobre 2016
30 ans de Metroid… Et maintenant ?
Nous y sommes. Le 6 août 1986, nous fêtions le trentième anniversaire de la parution du premier jeu Metroid sur Famicom Disk System au Japon, élément fondateur d’une saga atypique dans l’univers de Nintendo, et que rien ne prédestinait à durer dans le temps.
Trente ans, ce n’est pas rien. Parmi l’interminable liste de jeux sortis cette même année 1986 sur Famicom ou Famicom Disk System, combien peuvent se targuer d’être encore plus ou moins d’actualité après trois décennies ? La série Metroid, elle, a réussi à suivre les différents courants de l’évolution du jeu vidéo pour continuer d’exister malgré les embûches, et ses idées ont essaimé de-ci de-là, donnant naissance à des dizaines de jeux se revendiquant de son héritage.
Malgré un tel anniversaire, peu nombreux étaient celles et ceux à croire à un vrai hommage de la part de Nintendo, la société ayant enfanté la licence. Visiblement, il n’est pas dans la tradition de l’entreprise de fêter en grande pompe l’anniversaire de ses licences. Malgré tout, Mario et Zelda avaient eu droit à quelques fioritures pour leurs 25ème et 30ème anniversaires. Rien de folichon, mais tout de même quelques marques de reconnaissance envers des licences emblématiques. Quand bien même, étant donné l’omniprésence de ces deux séries dans l’univers Nintendo – le plombier n’étant jamais bien loin, et le héros vert ayant eu droit à de nombreux remakes ces dernières années –, il n’était pas forcément nécessaire de rappeler au monde l’existence de ces licences.
Mais pour Metroid, c’est une autre affaire. Ne nous méprenons pas, la licence Metroid n’a jamais réellement percé en dehors de la sphère des fans de science-fiction et des joueurs connaisseurs. Si le commun des mortels est à même d’identifier Mario sans difficulté, de citer Pikachu ou Donkey Kong comme des exemples de héros de jeux vidéo Nintendo, ou même, malgré la confusion fréquente entre Link et Zelda, est capable de rattacher cette série au même panthéon que les précédents, il n’en va pas de même avec Metroid, rarement connue du grand public. De là, comment espérer un évènement autre que confidentiel pour fêter les 30 ans ?
Il n’empêche, de simples chapeaux et costumes à l’effigie de Samus dans l’application mobile Miitomo, c’est un peu léger. On remerciera au passage Yoshio Sakamoto, grand gourou de la saga depuis 30 ans et accessoirement créateur de Miitomo également, pour cette délicate attention. Mais les fans attendaient plus, attendaient mieux. Des mois auparavant, beaucoup se languissaient de n’avoir en point de mire qu’un Metroid Prime : Federation Force sentant le pâté à des kilomètres. Le jour même de l’anniversaire, le véritable hommage arriva bien davantage du côté des fans, témoignant par milliers leur affection pour la saga sur les réseaux sociaux, à travers notamment le hashtag #Metroid30, relayé durant l’été et même encore en septembre. Du simple message à la création de contenu, la communauté prouve encore une fois sa vigueur et son attachement à une des rares licences de science-fiction Nintendo osant la maturité du propos et la construction narrative sur le long terme, chaque épisode se tenant dans une trame globale cohérente. Cherchez bien, vous en trouverez peu qui remplissent ces critères chez la firme de Kyoto.
Au milieu de tous ces hommages, celui qui a crevé l’écran fut bien entendu le remake AM2R (pour « Another Metroid 2 Remake »), en développement par un fan argentin acharné depuis des années et attendant le bon moment pour sortir. Fait relativement rare, il est testé et décortiqué presque comme un jeu officiel, et de l’avis de tous, rend un vibrant hommage à la série. D’une qualité rare pour un jeu amateur, AM2R a tôt fait d’attirer sur lui les projecteurs, et se retrouve dans le viseur des avocats de Nintendo, qui dégainent quelques jours plus tard leur arsenal juridique et font interdire le jeu. Trop réussi, trop proche d’un vrai – notamment de Zero Mission –, il y a risque de confusion : pas question que ce jeu soit considéré comme un titre officiel par des consommateurs un peu abrutis. Pas question non plus de réutiliser de la sorte du contenu propriétaire.
Effet Streisand oblige, l’interdiction d’AM2R le propulse directement dans le panier des œuvres désormais indestructibles : copié des milliers de fois aux quatre coins d’Internet, la plainte déposée par Nintendo sauve paradoxalement le jeu de l’oubli, en lui conférant le statut d’objet en danger circulant désormais sous le manteau. Quant aux fans, la réaction face à cette interdiction fut du pain béni : Nintendo interdit un remake meilleur que les derniers jeux de la licence et certainement meilleur que Federation Force lui-même, attendu à peine un mois plus tard. Une situation plutôt ironique, qui n’arrange pas une nouvelle fois l’image de Nintendo, passant pour une société bornée et aux décisions incompréhensibles du point de vue des fans.
Car depuis 2010, l’écart s’est creusé entre la communauté des fans Metroid et la maison-mère. Depuis l’écueil de Metroid : Other M, plus rien ne semble comme avant. Si à l’époque de Metroid Prime, la défiance était de mise, tant le passage à la 3D semblait impossible pour la série, tout ceci s’est finalement révélé être un pas de géant dans l’évolution de la saga, n’empêchant pas la création d’épisodes 2D canoniques. Mais depuis 2010, un nouveau coup d’arrêt semble porté à l’évolution de la série, amplifié au passage par l’essor d’Internet, permettant autant à la communauté de se construire et de débattre en profondeur que d’assassiner un jeu au moindre faux pas. Sakamoto, garant historique de la licence, s’est embourbé dans sa volonté de narration et des maladresses rarement vues jusqu’ici. En parallèle, les héros de Retro Studios ont tourné leurs efforts vers d’autres licences, laissant Kensuke Tanabe, gestionnaire de la portion 3D de la licence, trouver d’autres prestataires pour continuer sur son chemin. Stupeur et tremblements quand Federation Force pointe le bout de son nez : un jeu Metroid où Samus n’est pas l’héroïne, quelle horreur ! Les premiers retours font pourtant état d’un jeu plutôt bon, même si loin d’être transcendant, et surtout sans réel rapport avec l’univers Metroid. Il aurait été aussi judicieux de créer ici une nouvelle licence.
Les premiers retours sur les ventes semblent désastreux, Federation Force échouant complètement à atteindre ses objectifs, comme Other M avant lui. Certes, les Metroid ne se sont jamais vendus à des dizaines de millions d’exemplaires. Mais il est difficile d’imaginer que les deux derniers épisodes en date aient été rentables pour Nintendo. De là une crainte légitime : est-ce la fin de la série ? La question revient à intervalle régulier comme un serpent de mer que l’on traque pour se faire peur. Les dirigeants se veulent rassurants, et promettent que Metroid est toujours une licence mature de qualité, dont l’avenir est bel et bien envisagé, pourquoi pas sur la fameuse NX qui tarde à se montrer au monde. Mais les fans redoutent désormais les nouvelles annonces, synonymes depuis plusieurs années maintenant de déception.
Alors, où aller trouver sa dose de Metroid ? Finalement, ce sont les fans eux-mêmes qui apportent la réponse, tant le genre du « Metroid-like » et du « Metroidvania » a fait florès cette dernière décennie. Depuis le précurseur Cave Story en 2004, les indépendants, et parfois les gros studios (repensons à Shadow Complex), se sont engouffrés dans la brèche, transformant l’anecdotique hommage à Metroid en genre presque surreprésenté dans le jeu vidéo actuel. Mais doit-on bouder son plaisir ? Après tout, si Nintendo n’est pas capable d’appliquer les règles développées par ses propres équipes, tant pis pour eux : le public ira chercher ce qu’il apprécie là où se trouve le talent. Voilà bien un autre point atypique de la série : son appropriation totale et complète, voire démesurée, par les fans, au point même que certains pensent savoir mieux que Nintendo ce qui est bon pour l’avenir de la licence.
Reste cette pauvre Samus au milieu de tout ceci. Car si le genre qui l’a vu naître ne semble pas prêt de mourir, ses aventures et son parcours restent en revanche en suspens. Plus que jamais, son avenir semble incertain : quasiment effacée du dernier jeu de sa propre série, il ne tient qu’à Nintendo de tenter de pérenniser réellement un de ses héroïnes les plus emblématiques. Mais est-ce bien la volonté de la maison-mère ? Réponse, espérons-le, avant le 60ème anniversaire.
Bidoman
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